Bonjour !
Pour ceux qui veulent comprendre les tracasseries que peuvent occasionner la bonne nomination des oiseaux au fil des ans.
Voici un petit historique des débats sur les modifications des noms des oiseaux pour la francophonie.
Les ornithos d’un certain âge sont régulièrement titillés par des changements dans les noms, français ou latins, des espèces d’oiseaux, les limites des espèces ou l’ordre dans lequel on les classe. La plupart de ces changements sont simplement le témoin des progrès, voire des hésitations, de la connaissance scientifique. Il en est ainsi, par exemple, de l’éclatement de l’ancien «
goéland argenté » (
larus argentatus) en au moins quatre espèces actuelles... Ce qui me gêne plus, c’est le changement de la «
nomenclature vernaculaire », c’est à dire des noms français des espèces. La
poule d’eau est devenue; la
gallinule poule d’eau (
gallinula chloropus), le
traquet pâtre; le
tarier pâtre (
saxicola rubicola) et la
mésange à moustaches; la
panure à moustaches (
panurus biarmicus)
. Pourquoi de tels changements ? Parce que la
poule d’eau n’est pas une
poule, qu’un
traquet pâtre est d’un genre différent des «
vrais »
traquets et que la
mésange à moustaches ne fait pas partie des
paridés mais des
panuridés.
Oui, et alors... ? Quel est le rôle d’une nomenclature vernaculaire ?... Assigner un nom français (
pour le cas qui nous intéresse unique à une espèce donnée : le merle noir à turdus merula, même quand il est brun (cas des jeunes et des femelles). Mais elle ne rend pas compte de la place systématique de l’espèce : ça, c’est le rôle de la nomenclature scientifique (
le nom latin) qui donne le nom du genre auquel elle appartient et le nom de l’espèce, voire de la sous-espèce. Donc, quand on parle de
poule d’eau, on ne prétend évidemment pas que c’est un
gallinacé, juste que c’est le nom français qui correspond à
gallinula chloropus, dont chacun sait que c’est un
rallidé, même quand on a un certain âge.
Nos collègues étrangers ne font pas cette confusion entre les rôles des deux types de nomenclatures. Ainsi le terme anglais«
warbler » (paruline
) correspond à la plupart des
fauvettes, aux
rousserolles (
acrocephalus scirpaceus), aux
locustelles (locustella luscinioides), aux
hypolaïs (
hippolais polyglotta), aux
pouillots (
phylloscopus sp.) (sauf le
pouillot véloce (
phylloscopus collybita), aux
cisticoles des joncs (
cisticola juncidis), aux
bouscarles (
bradypterus sp.) et aux
agrobates roux (
cercotrichas galactotes)... et je ne pense pas que cela handicape tellement l’ornithologie anglophone ! … À l’inverse, en italien, la
fauvette mélanocéphale (c
urruca melanocephala) se dit
occhiocotto (= œil rouge brique), la
fauvette à tête noire (sylvia atricapilla);
capinera, la
fauvette grisette (
curruca communis);
sterpazzola, la f
auvette babillarde (
curruca curruca);
bigiarella, malgré leur appartenance au même genre
sylvia.
Il semblerait que la
mésange à longue queue risque de devoir être rebaptisée;
orite à longue queue (
aegithalos caudatus), (elle n’est effectivement pas un
paridé). Je pense que ce serait une fois encore le témoignage de cette confusion des rôles. Ou alors, continuons le massacre ! Je vais même suggérer les prochaines victimes : les
gobemouches d’Europe (
ficedula sp. - muscicapa sp.) qui appartiennent à deux genres différents. Que préférez-vous : le
muscicape strié (
muscicapa striata) ou la
ficedule hypoleuque (
ficedula narcissina) ?
Remarque : je trouverais plus utile qu’on trouve une nomenclature commune à tous les francophones : notre ancienne
harelde de Miquelon est devenue
harelde boréale (
clangula hyemalis)sous prétexte que les «
nôtres » ne venaient pas de cette île française. Mais on n’a pas appliqué le principe qui veut que ce sont les locuteurs de la région où réside majoritairement l’espèce qui la nomment : nos amis québécois la nomment
harelde kakawi.Histoire récente de la nomenclature francophone des oiseaux.
Avant d'avoir un nom scientifique, les oiseaux ont eu une dénomination populaire, locale, parfois différente à quelques dizaines de kilomètres de distance. L'analyse de l'origine des noms des oiseaux publiée par CABARD et CHAUVET (
2003) montre qu'il n'est pas toujours facile de retrouver la racine des anciens noms vernaculaires. Le vieux français, les patois, les langues régionales complétés par des déformations de prononciation au cours du temps ont forgé une dénomination qui existe encore de nos jours. Ainsi, la nomenclature francophone a toujours évolué. Elle a pris une forme plus rigoureuse en 1936 avec la parution de la fameuse liste des oiseaux de France de Noël Mayaud (
qui est encore une référence pour les taxonomistes), mais cette liste est restée confidentielle car réservée aux scientifiques (
MAYAUD, 1936). C'est surtout après la Seconde Guerre mondiale, avec la traduction du fameux guide illustré «
Peterson Field Guide » créée et éditée par le célèbre ornithologue Roger Tory Peterson traduit par Paul Géroudet (
PETERSON et al., 1954), que nous retrouvons la majorité des noms vernaculaires encore utilisés aujourd'hui. Paul Géroudet, ce célèbre ornithologue helvétique a établi la première dénomination binominale (
nom de genre et nom d'espèce) francophone cohérente des oiseaux d'Europe. Cette nomenclature est restée relativement stable jusqu'au début des années 1980. Rappelons que c'est le suédois,
Carl Von Linné qui a établi au XVIIIe siècle, la première nomenclature scientifique binominale (
combinaison de deux mots servant à désigner une espèce).
Pourquoi y a‐t‐il eu quelques changements récents ?
Parce ce qu'un travail important avait été entamé dès le début des années 1980 en Belgique, en relation avec des ornithologues québécois, pour établir une liste mondiale des oiseaux avec des noms français (
Noms français des oiseaux du monde) dans le cadre du travail de la «
Commission internationale des noms français des oiseaux ». Deux Français étaient censés y participer (
Christian Érard et Roger Cruon), mais ils n'ont rien fait pour sauver les dénominations traditionnelles utilisées par les ornithologues français. Ainsi, les deux coprésidents de cette commission (Pierre Devillers de Belgique et Henri Ouellet du Québec) ont imposé nombre de noms vernaculaires québécois comme
harelde kakawi. C'est à cette période qu'a été créée (
enfin, ranimée, pour être plus précis – je passe sur les détails) la Commission d’Avifaune Française (
CAF) par Philippe Dubois et moi-même. Son rôle a surtout été redéfini. Il s'agissait d'établir la liste des oiseaux de France métropolitaine avec une nomenclature francophone choisie par la communauté des ornithologues français, ainsi que celle du paléarctique-occidental. Le paléarctique est l’une des huit éco-zones qui divisent la surface de la Terre. Physiquement, c’est la plus vaste, incluant les éco-régions de l’Europe, du nord de l’Asie (
au nord de l’Himalaya), de l’Afrique du Nord et les parties septentrionales et centrales de la péninsule arabe. A l’ouest de cette immense zone, on trouve le paléarctique-occidental, à laquelle appartiennent les avifaunes de France, de Belgique et de Suisse.
Voici les sept divisions des zones bio-géographique.
Quelles sont les limites précises de cette vaste zone bio-géographique, qui va de l’Islande à l’Irak, et où près de 1 100 espèces d’oiseaux peuvent être observées. La terre a été divisé en six grandes régions bio-géographiques au sein desquelles existe une certaine unité des espèces et des communautés végétales et animales, notamment des oiseaux (
on parle aussi de régions zoogéographiques). Ces zones sont le paléarctique (
Est de l’Europe et l’Asie) et le paléarctique-occidentalle (ouest de l’Europe et nord de l’Afrique), néarctique (Amérique du Nord), l’afrotropical(
Sud du Sahel jusqu’au sud de l’Afrique), l’indomalais (
sud-ouest asiatique), l’australien (
parfois appelé notogéen) et le néotropical. Madagascar et les îles adjacentes forment un septième empire — le Malgache. L’Antarctique et les îles océaniques de l’hémisphère Sud ne sont inclus dans aucune zone bio-géographique.
En 1989, avec Philippe, nous avons publié la première liste des oiseaux du paléarctique-occidental en français
(LE MARÉCHAL et DUBOIS, 1989), et nous l'avons mise à jour régulièrement. Elle établissait la nomenclature francophone adoptée par la nouvelle CAF. Suite à la parution de la première liste mondiale en 1993
(Commission internationale des noms français des oiseaux, op. cit.), des différences apparaissant entre les choix de la CAF et ceux des Belges et des Québécois, j'ai pris l'initiative de demander une réunion (
fin 1993) des représentants de chaque pays francophone pour tenter d'aboutir à un consensus. L'idée était la suivante : la CAF gardait la main sur la nomenclature de la liste des oiseaux de France (
voire du paléarctique occidental), mais nous la lâchions sur les noms francophones des oiseaux du reste du monde. Cette réunion à laquelle n'ont assisté que les Européens fut quelque peu stérile, chacun restant sur sa position, notamment nos collègues belges. Comme nos amis québécois n'avaient pu se déplacer, je suis allé au Québec en 1994 pour en parler avec eux. Leur proposition était la suivante : pour les espèces européennes qui sont occasionnelles en Amérique du Nord, c'est vous (
la CAF) qui donnez le nom vernaculaire et, pour les espèces originaires (
ou plus abondantes) en Amérique du Nord et qui apparaissent parfois en Europe, c'est nous (l
es québécois) qui donnons le nom francophone. Malheureusement, nous n'avons fait que peu de progrès en regard des différences qui subsistaient (
en compensation, nous avons fait une belle liste d'oiseaux...). Parallèlement, j'ai échangé plusieurs courriers avec Paul Géroudet afin de lui demander son avis sur les changements possibles de dénomination francophone suite aux progrès des approches de taxonomie. Il était très favorable à une évolution des noms vernaculaires qu'il avait donnés au début des années 1950 et je garde un excellent souvenir de ces «
échanges de noms d'oiseaux ».
Nous en sommes restés là depuis la fin des années 1990 et aucun nouveau rapprochement n'a été tenté. En 1998, avec Guilhem Lesaffre, nous avons publié une liste des oiseaux du monde, traduction de l'ouvrage de Michael Walters (
WALTERS et al., 1998). Cet ouvrage reprenait les noms vernaculaires de la liste du paléarctique occidental de 1997 (
LE MARÉCHAL et DUBOIS, op. cit.) et, pour les autres espèces du monde, les propositions de nos collègues belges et québécois.
Pourquoi normaliser la nomenclature francophone ?
C'est peut-être une déformation du cartésianisme français (
rigoureux, clair, logique, méthodique et rationnel). L'idée est de présenter, dans la continuité de Paul Géroudet, une nomenclature binominale : un nom de genre et un nom d'espèce francophones, comme dans la nomenclature scientifique, avec l'objectif de clarifier la communication et l'identification de chaque espèce, voire de chaque sous-espèce. Par exemple, quand on regarde la liste des oiseaux du monde en français, on remarque qu'il y a neuf «
poules d'eau » dans le monde dont le nom générique scientifique est
gallinula. Nous avons donc choisi comme nom de genre francophone
gallinule et comme nom d'espèce
poule d'eau pour celle qui vit en Europe. C'est ce dernier vocable
poule d'eau que nous utilisons tous pour communiquer sur le terrain, bien sûr, mais la liste mondiale devient cohérente et lisible.
On a ainsi pour les neuf espèces connues :
• gallinula silvestris, gallinule d’Édith.• gallinula nesiotis, gallinule de Tristan da Cunha.• gallinula chloropus, gallinule pouled’eau • gallinula tenebrosa, gallinule sombre.
• gallinula angulata, gallinule africaine.
• gallinula melanops, gallinule à face noire • gallinula ventralis, gallinule aborigène.• gallinula mortierii, gallinule de Tasmanie • gallinula pacifica, gallinule punaé.Autres changements liés aux nouvelles approches de taxonomie.
Au début des années 1980, les approches d'hybridation d'ADN ont permis d'avoir un nouveau regard sur les parentés des familles d'oiseaux et même au niveau des genres (
SIBLEY et MONROE, 1990). Les progrès des approches génétiques, le séquençage de l'ADN mitochondrial ou nucléaire et la création de logiciels de traitement des données phylogénétiques ont apporté une nouvelle vision des parentés au niveau spécifique (
JIGUET et CROCHET, 2010). Des espèces qui avaient des ressemblances morphologiques étaient éloignées génétiquement. Ce fut notamment le cas des
mésanges rémiz devenues;
rémiz penduline (r
emiz pendulinus),
mésanges à longue queue devenues
l’Orite à longue queue (Aegithalos caudatus), les
mésanges bleues (p
arus caeruleus) sont devenues (
cyanistes caeruleus) et les
mésanges grande-charbonnière sont passé à
mésanges charbonnières (
parus major). Les conséquences sur les arbres phylogénétiques et le changement qui en a suivi sur le classement des familles et des genres ont été relativement perturbants au cours des trente dernières années. Les
plongeons (
gavia immer) appelés
plongeon huard au Canada et les
grèbes ont perdu leurs places auprès des
anatidés au profit des
podicipedidés et depuis peu, ce sont les
phasianidés qui débutent la liste des oiseaux en France. Les conséquences n'ont pas seulement concerné le classement des familles et des genres. On s'est aperçu que certaines espèces étaient mal apparentées, mal placées dans l'arbre phylogénique (
relations de parenté entre organismes vivants). Avec le changement du générique scientifique, nous avons tenté de trouver un générique vernaculaire pour ne pas rencontrer, dans la liste mondiale, des
traquets (
oenanthe oenanthe) au milieu des
tariers (
saxicola rubetra), pour ne prendre que cet exemple.
La CAF n'a jamais eu la volonté de changer pour le plaisir de changer ; elle a seulement cherché à ajuster la nomenclature francophone aux progrès de la génétique lorsque cela était possible. Dans quelques cas, nous avons ainsi remplacé le nom de genre par le spécifique, celui que chacun utilisait dans le langage courant. Prenons l'exemple du
combattant (
calidris pugnax) et du
guignard (
charadrius morinellus). On sait à présent que ces deux espèces sont des
calidris, donc des «
bécasseaux ». Au lieu de les appeler
bécasseau combattant (
ce qu'avait proposé Géroudet, il y a une vingtaine d'années) et
bécasseau guignard; nous avons choisi
combattant varié (calidris pugnax) et
guignard d'Eurasie (
eudromias morinellus). Ainsi, l'usage du parler de terrain reste et le message écrit montre que le
combattant (
charadriiformes)
n’est pas un
chevalier (
scolopacidés)et le
guignard (
charadriidés) n'est pas un
pluvier (
charadriinés). Dans d'autres cas, nous n'avons jamais trouvé de consensus sur un nouveau générique. C'est le cas de la
mésange à longue queue (
aegithalos caudatus), qui est restée
mésange. Paul Géroudet m'avait proposé
meunière à longue queue...
Peu d'ornithologues amateurs connaissent les noms scientifiques et de toute façon ils ne communiquent jamais entre eux avec de tels noms. Par ailleurs, l'information portée par le nom vernaculaire peut être importante pour le débutant, à la fois pour la mémorisation et la compréhension des ressemblances entre les espèces. Le développement des voyages et la demande de listes en français des divers continents conduisent à disposer d'une nomenclature vernaculaire cohérente. C'est un réel progrès pour les usagers et les éditeurs de guides de terrain. Le nom vernaculaire, s'il n'a pas vocation à remplacer le nom scientifique, peut apporter une information et permettre une lecture plus claire des listes mondiales.
Les rares défenseurs de la tradition des années 1950 sont attachés aux noms français des oiseaux donnés par Géroudet dans sa traduction du «
Guide Peterson », ceux qu'ils ont connus quand ils étaient jeunes. Mais, c'est Gérouret, lui-même qui incitait la CAF à faire évoluer les noms vernaculaires ! Combien d'espèces finalement sont concernées ? Une vingtaine dont le nom a été modifié au cours des trente dernières années sur les trois cent soixante sept connues en France. La jeune génération comprend très bien ces petits ajustements et ne s'en formalise pas. Elle s'habitue même rapidement aux nouveaux classements des familles et des genres.
Les noms scientifiques et le classement des oiseaux ont beaucoup changé ces dernières années et ce n'est pas terminé. La CAF suit à présent les propositions de IOC
(International Ornithological Committee) dans le cadre d'une liste mondiale. Les connaissances sur les parentés des familles, des genres et des espèces sont en pleine évolution avec des changements des noms scientifiques à la clé. S'il n'est généralement pas nécessaire de modifier les noms vernaculaires, c'est parfois utile pour améliorer la communication et la compréhension des relations phylogénétiques entre les différentes espèces oiseaux.
Frédéric Malher et Pierre pour le webzine d’ornithologie francilienne «
Le Passer ».
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